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Urgence !
C’était du temps où on tombait comme des mouches, du temps où peu se risquaient à donner du temps au temps.
Avec juste des défenses immunitaires à zéro et une récidive de pneumocystose j’étais loin d’être le cas le plus préoccupant du service
et on m’avait éjecté (c’est le mot juste) de ma chambre « single » pour l’attribuer à un vivant ses derniers jours.
Echange : j’ai pris sa place dans une chambre collective partagée avec Eric.
C’est Eric qui avait demandé à ne plus avoir à côté de lui un voisin mourrant pour ne pas voir son moral trop affecté.
Comme le mourant, comme moi, comme beaucoup d’autres dans ce service, Eric était séropositif au VIH.
Eric avait déjà souffert de pas mal de maladies graves, mortelles et mettait toute son énergie à vivre pleinement l’instant présent,
mettait toute son énergie à remplir ce qui lui restait de vie de vie.
Il s’était marié avec celle qu’il aimait, s’épanouissait dans son métier stressant, était sur le point d’acheter la voiture qui
faisait rêver le petit enfant enfoui en lui, faisait mille projets, envisageait de réaliser mille choses pour ne point regretter de n’avoir pu les vivre…
Beaucoup de séropositifs que je croisais étaient dans le même état d’esprit : vivre le plus intensément possible, compenser la
durée par l’intensité de vie.
J’étais en décalage avec eux, je vivais comme si j’étais éternel : sans hâte, sans peur de manquer de temps, en me laissant
porter par l’humeur présente sans toutefois savoir vraiment savourer la beauté de l’instant.
Le temps a passé et j’ai du mal à ne pas associer les années passées à du temps gâché.
Crise de la quarantaine ?
Peut-être…
J’ai aussi connu récemment pour la première fois la peur de la mort avec un accident cardio-vasculaire.
Pour la première fois j’ai eu le sentiment que tout pouvait s’arrêter d’un coup, sans prévenir.
Je resonge à Eric et à ses nombreux désirs qu’il voulait satisfaire tant qu’il était en vie, sans perdre de temps.
Je ne veux plus perdre de temps.
Je ne m’interdis aucune rencontre et même si je conserve un idéal « d’âme sœur » j’envisage difficilement une relation
exclusive par principe.
Je ne veux plus non plus attendre d’inaccessibles étoiles qui m’enfermeront dans de stériles attentes. Je peux attendre quelqu’un… un
peu, juste un peu, après je n’envisage que de laisser les choses suivre un cours libre d’espérances souvent vaines.
Il y a urgence de vivre tant que la chose est possible, je ne suis plus éternel.
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C’était avant que le TGV ne trône en cette gare que je la vis s’approcher souriante, radieuse de me retrouver comme tant d’autres fois.
Radieuse ?
Oui elle était radieuse et je ne comprenais plus rien. Je m’étais préparé à la voir la mine sombre, en pleurs même, je m’étais préparé à devoir la tenir dans mes bras pour la consoler, pas à la
tenir dans mes bras comme d’ordinaire pour recueillir son plaisir. Je n’arrivais pas à croire qu’un simple réflexe de joie pavlovienne pouvait expliquer qu’elle exulte à me voir cette fois là.
Cette arrivée me déconcertait, je ne savais quoi penser, comment réagir.
Nathalie était heureuse et je me réjouissais de cela mais quelque chose m’échappait, je croyais la connaître et ne la reconnaissais pas dans sa réaction, dans sa façon de gérer la nouvelle. La
nouvelle je venais de l’encaisser peu avant dans un centre situé près du studio que je partageais avec France.
Ma première pensée avait été de me demander comment Nathalie le vivrait, comment je pourrais faire pour qu’elle puisse le supporter, pour qu’elle parvienne à admettre ce fait terrible. Je n’avais
pensé qu’à ça : comment faire en sorte que Nathalie ne s’effondre pas. Je me trouvais alors devant elle et non seulement elle ne trahissait aucune volonté de s’effondrer mais de surcroît exhibait
une bonne humeur qui m’apparaissait complètement décalée alors que je savais qu’elle aussi savait maintenant, qu’elle aussi avait été informée de la chose dans sa ville respective. Un toubib lui
avait-il fait prendre une drogue euphorisante ?
Je me demandais si tout ceci était bien réel.
Aucune idée de son habillement ni du mien ce jour là. Beaucoup de choses ont été oubliées et je ne sais plus quand et comment tomba l’explication : son résultat de test qu’elle venait de recevoir
lui avait appris qu’elle était séronégative au VIH.
Je n’avais à aucun moment imaginé qu’elle puisse être séronégative alors que je venais d’être dépisté positif. J’avais je crois oublié (occulté ?) cet « accident » de capote source probable de ma
contamination, sans doute parce qu’un tel oubli m’arrangeait, sans doute aussi car j’estimais ne pas « mériter » cette contamination alors que j’avais pris mes précautions. J’avais connu plusieurs
rapports non protégés qui ne m’avaient pas contaminés et j’aurais été plombé alors que j’avais embrassé la religion du latex !
Je n’avais envisagé de contamination que via Nathalie et j’étais persuadé avant de la savoir séronégative qu’elle seule pouvait être la cause de l’arrivée du virus dans notre couple…
Mais aussi je n’avais pas envisagé qu’un seul de nous deux puisse être contaminé car ignorant à l’époque que cette contamination était bien loin d’être systématique (et que le risque de
contamination par rapport sexuel était même très faible).
Je ne pouvais alors imaginer qu’après avoir effectué toutes les galipettes risquées le virus avait pu ne pas se transmettre à l’autre.
Quand elle m’annonça être séronégative je fus alors persuadé que mon test était un faux positif et je crois en avoir été tellement persuadé que l’attente du prochain test fut sereine.
Le test suivant confirma hélas la chose : le virus venait d’arriver dans notre couple et dans ma vie.
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1987
Le soleil amorçait sa descente sur Paris, la lumière abandonnait ce jardin des Tuileries connu d’hommes qui aiment les hommes, connu
aussi de moi qui aimais l’aventure, les regards lubriques et l’argent aussi.
Peut-être cela participait-il aussi d’un fantasme d’humiliation, un des plus beaux métiers du monde ayant rang d’activité avilissante.
Peu importe que je considérais déjà cette activité apportant du bien-être à d’autres humains comme noble, comme des plus respectable, le fait est que j’évoluais dans une société l’ayant
stigmatisée au point d’en faire le synonyme de dégradation. J’avais conscience de cette symbolique négative et en étant imprégné de celle-ci je devais sans doute aussi ressentir le trouble de
l’avilissement volontaire.
Mes pulsions SM devaient alors probablement être antérieures à l’ère qui s’ensuivie.
Goût plus ou moins fort pour l’avilissement, goût pour l’argent mais aussi et surtout goût de la découverte d’autrui, ne serait-ce que
le temps d’une passe où un coup d’œil visite un intérieur, où quelques mots évoquent un autre milieu que celui trop fermé dans lequel j’étais resté enfermé jusqu’à mes 18 ans.
Plaisir aussi de me savoir désiré et curiosité pour vérifier la réalité de ces convoitises dont j’étais l’objet.
Aucun désir charnel en revanche pour ceux qui me convoitaient, aucune espérance de plaisir charnel, aucune accélération du rythme
cardiaque à la vue de ces hommes qui m’indifféraient.
Ouvert à tout je n’étais pas encore certain de mon hétérosexualité et envisageais encore pouvoir être bisexuel.
J’aurais de loin m’offrir à des femmes mais j’ignorais où aller pour une telle clientèle et aussi ma grande timidité m’orientait vers
le sexe traditionnellement abordeur, le sexe qui ose draguer ouvertement. A défaut de donner du plaisir à des femmes dont les corps, voix et regards me troublaient, j’essayais d’en procurer à des
hommes qui me laissaient froid.
Le jour déclinait quand mon destin m’apparu sous la forme d’un type assez obèse au visage peu gracieux.
Je m’en foutais royalement à vrai dire de son physique, tout ce qui comptait était son approbation pour du sexe tarifé avec le beau
jeune homme que je me devinais être aux yeux de ces mâles.
500 francs
Il accepta le prix, prix pour lequel je coucherai avec lui, chez lui.
Une petite rue donnant dans le bas de la rue de la Mouf avec vue sur l’église, un quartier classé « sympa » et dans lequel
j’aimerai plus tard me balader à l’occasion.
Son chez lui dépassait en taille la chambre d’étudiant ou le studio du salarié pauvre, un grand 2 pièces je crois.
Point de meubles, cet appartement était meublé de vide.
La lumière aussi était inexistante et le soleil ayant maintenant abandonné la ville lumière l’obscurité régnait sur le théâtre où
allait se jouer cette scène que je n’ai pas complètement oubliée.
On est naïf à 20 ans et moi sans doute l’étais plus que tout autre.
Il lui fut facile d’expliquer cette absence d’électricité, et puis l’appartement aux murs nus évoquant le déménagement ce détail
n’apparaissait pas forcément étrange.
Le seul meuble devait être le lit, ou plutôt, il me semble, un simple matelas posé à même le sol.
Il se disait marin. Les marins ça sent les vastes horizons, ça pue aussi l’aventure et j’étais sur le point d’en vivre
une.
Je n’étais pas trop emmerdant comme prostitué, j’exigeais juste la sainte capote pour ne pas m’exposer à ce redoutable virus dont on
parlait tant, que l’on redoutait d’autant qu’on ne savait encore que peu de choses sur lui. Un virus ayant déchaîné les fantasmes phobiques, un virus qui permettait à notre société trop sécurisée
de sentir de nouveau le frisson de la peste, du fléau de Dieu, un virus qui satisfaisait nos besoins de peur. La société semble avoir besoin de se faire peur de temps en temps.
J’avais peur moi aussi, en tout cas suffisamment pour vouloir respecter scrupuleusement les consignes des autorités sanitaires :
sortez couverts.
J’étais d’autant plus résolu à suivre ces consignes que quelques mois auparavant j’avais cru être frappé par le mal et avais connu
cette terrible angoisse avant qu’un test effectué après un délais convenable m’eut rassuré.
Recevoir de l’argent pour donner du plaisir, de la chaleur humaine, une écoute me convenait, jouer à la roulette russe en revanche ne
me correspondait plus.
Il n’était pas chiant ce type, il accepta la capote aussi facilement que le prix demandé.
Allongé sur le ventre je reçu son vit en moi, heureux de lui faire plaisir j’imagine.
Quel plaisir retira-t-il de cette pénétration ?
Connu-t-il un plaisir analogue à celui que connurent ceux qui le précédèrent ?
Fut-il juste excité par un beau cul accueillant son sexe ou bien une excitation autre, bien singulière, vint ici s’immiscer dans son
plaisir?
Etait-il juste à la recherche d’un plaisir charnel ou bien était-il guidé par une motivation perverse ?
Savait-il ce qu’il faisait ?
Rechercha-il dans son geste un surcroît de plaisir ou plutôt vicieusement à me faire partager son destin ?
Se sentait-il dégagé de toutes contraintes morales et légales et ce depuis toujours ou juste à l’approche d’une mort qu’il voyait
imminente?
Je sais juste qu’à la fin de l’acte j’ai pu constater qu’il avait retiré ce film de latex censé me protéger.
Quand mon virologue me fit prendre de l’AZT ce médicament n’enraya en rien ma chute, comme si mon virus avait déjà côtoyé cette
molécule avant de me connaître.
C’est probablement pour 500 francs que lors d’un acte obscur j’attrapai le VIH
dans un quartier sympa.
:
Errant dans le présent en espérant retrouver peu à peu les mots tus du passé, je regarde l'avenir avec les yeux d'un nouveau-né, ressuscitant lentement après une parenthèse de 20 ans.